Agir maintenant face au burn-out avec Adrien Chignard, psychologue du travail.

Agir maintenant face au burn-out avec Adrien Chignard, psychologue du travail.
Adrien Chignard est psychologue du travail et des organisations. Agréé IPRP, il intervient dans les entreprises en prévention des risques psychosociaux et promotion de la qualité de vie au travail en situation de changement. Fondateur de Sens et Cohérence, il accompagne aussi les particuliers qui traversent des situations d’épuisement professionnel et qui veulent retrouver de la sérénité dans leur trajectoire de vie personnelle et professionnelle. Nous le rencontrons aujourd’hui pour qu’il nous livre ses conseils pour faire face au burn-out, une situation qui touche de plus en plus de professionnels depuis le début de la pandémie.

Quelle est votre définition des risques psychosociaux ?

Les risques psychosociaux sont tous les risques qu'on prend pour sa santé mentale, en fonction des conditions de travail auxquelles on est exposé. Plus précisément, le fait d'être exposé à des facteurs de stress au travail qui peuvent ensuite déclencher des troubles psychosociaux et peuvent avoir des conséquences sur la santé physique et mentale. Cela peut commencer par de l’anxiété, des addictions, ensuite de la dépression, voire un burn-out qui est l’un des plus graves états.

Quel est l'intérêt aujourd'hui pour des responsables QVT* de travailler avec les psychologues du travail ? 

Il faut avoir des compétences pour travailler sur les risques psychosociaux. Le risque psychosocial, c’est l'interaction entre les conditions de travail et le fonctionnement mental de l'individu. Comme les psychologues du travail sont les experts du fonctionnement mental de l'individu en situation de production ou de travail, ils seront les partenaires privilégiés pour parler des risques psychosociaux. On travaille aussi avec des infirmières et des médecins du travail pour comprendre d'autres types de risques. Mais sur les risques psychosociaux, le psychologue est l'interlocuteur dédié parce qu'il a cette compétence, qu’il aura développée au cours de sa formation universitaire.

Vous avez créé Sens et Cohérence, un cabinet spécialisé dans les approches innovantes dans la prévention des risques psychosociaux au travail. Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’approches innovantes que vous avez développées ? 

Aujourd’hui 80% des transformations que les entreprises mettent en place n'ont pas les effets escomptés, les changements sont plutôt déceptifs. De ce constat, je travaille sur les déterminants humains du succès du changement. Comment la personne peut-elle adhérer à ce changement ? Cette idée est partie d’une étude d’une équipe de recherche universitaire, et nous permet de travailler sur les déterminants de l'adhésion et du succès au changement, sur deux axes : performance organisationnelle, et santé individuelle et collective. Ce qui est quelque chose de résolument nouveau. 

Je travaille sur les risques psychosociaux avec une méthodologie complètement nouvelle.  On met en place des études pour accompagner de grosses transformations en entreprise. J’accompagne beaucoup les managers, par exemple sous forme de hotline réservée aux managers, pour les aider dans leur quotidien à décrypter les situations compliquées. J’aime bien le principe de la vulgarisation exigeante, c'est à dire que le but du jeu n’est pas d’aider le manager dans un problème, mais d’éduquer le manager à comprendre son problème différemment et lui donner les éléments culturels et la théorie pour mieux saisir et décrypter. Je fais beaucoup de transferts, non pas de compétences, mais de connaissances sur les sujets.

Aujourd’hui, plus de 2,5 millions de français seraient en burn-out. Est ce que vous pouvez nous expliquer comment on peut détecter si on est en burn-out et quels en sont les symptômes ?


On sait qu'on est en burn-out quand un professionnel médical ou de psychologie vous donne le terme. Le burn-out est une collection de symptômes, ce n’est pas une grosse fatigue, c'est le fruit d'une exposition longue à des facteurs de stress. Avant d’être en burn-out, vous êtes en “burn in”, qui en est la première phase. C'est-à-dire que vous êtes déjà épuisé mais vous continuez à travailler. C’est comme si vous étiez sur l'autoroute, et que le voyant de votre réservoir d'essence s'allumait, et qu’au lieu de vous arrêter, vous accélériez. Si vous tombez en panne, vous êtes en burn-out. Vous allez donc avoir la triade du burn-out : l'épuisement affectif, émotionnel, et physique. S’installent alors une distance par rapport au travail, une désimplication pour se protéger et une dégradation de l'image de soi. Certaines personnes disent que le burn-out est une des formes avancées de l'état dépressif en lien avec les situations de travail. La première chose à faire c'est d'aller voir son médecin et de se faire arrêter, car il n'y a pas de rémission possible si il n'y a pas d'arrêt. Mais le repos ne suffit pas, il faut aussi travailler sur ces conditions de travail avec un professionnel de l’accompagnement, que ce soit un psychiatre ou un psychologue, pour nous aider à comprendre ce qui nous a amené jusque là. Ensuite il faut travailler à retrouver un équilibre et une hygiène de vie qui nous permettent de retourner au travail plus sereinement. Il faut donner une juste place au travail, et non toute la place.

Quels sont les facteurs pour prévenir un burn-out ? 

Je suis pour une prévention des risques psychosociaux au sens large. Avant d’arriver au burn-out, il y a toute une gamme de sujets qu’il faut traiter. Par exemple, il faut faire de la prévention du stress au travail. Il faut parler des conditions qui conduisent au burn-out. Il ne faut pas attendre que la personne soit en burn-out pour agir. 

Dans la littérature internationale, il existe environ 35 facteurs de stress au travail. Il faut regarder tous ces facteurs et les diagnostiquer un par un pour voir si les salariés y sont exposés et voir comment les résoudre. 

Aujourd'hui, on a quand même une bonne idée des facteurs du burn-out. Christina Maslach, la grande spécialiste internationale de ce sujet, a défini des facteurs qui sont les précipitants du burn-out : une forte charge de travail, le manque de contrôle et/ou de prévisibilité sur le travail, les conflits éthiques, le sentiment de manque de reconnaissance, les relations professionnelles tendues. Quand ces facteurs sont coexistants, ils augmentent la probabilité de générer un épuisement professionnel. 

Le harcèlement moral sur le lieu de travail relève-t-il des risques psychosociaux ? Quel est votre point de vue de “l’intérieur” ? 

On est beaucoup sollicités sur ce sujet et je pense que c’est lié à la situation de la pandémie. Depuis presque 2 ans, nous sommes dans cette situation, et cela a fini par générer une forme d'abrasion de la tolérance à la frustration des uns et les autres. Ce qui engendre une conflictualité bien plus forte, qui est difficile à réguler parce qu'on se voit peu. C’est aussi plus compliqué de savoir si quelqu'un est harcelé s'il est en télétravail. 

Pour identifier si vous êtes dans une situation de harcèlement, une première notion primordiale, c’est la notion de répétition. C'est-à-dire que si il y a une répétition de conduite, liée à votre santé, à votre intégrité, à votre parcours de carrière, on est sur quelque chose qui relève du harcèlement. Un manager qui vous demande à chaque fois de relire vos emails, parce que vous faites plein de fautes d'orthographe, ce n'est pas du harcèlement. Par contre un manager qui vous dit régulièrement, à haute voix, "Ca se voit que tu n’es pas allé à l'école longtemps, toi”... Là, on rentre dans une pratique qui peut être un harcèlement. La répétition a des conséquences néfastes. 

Au départ de toute situation de harcèlement, le salarié est mis dans un état de culpabilité.C’est un mécanisme de pensée très clair : s’il m’arrive quelque chose de mal, c’est que j’ai dû faire quelque chose de mal. Le processus psychique du harcèlement, c’est à nous, les psychologues du travail, de l’expliquer aux victimes. Les psychologues cliniciens, eux, vont intervenir pour défaire cet état psychique.

Quels sont vos principaux conseils pour les victimes de harcèlement ? 

Il faut en parler à tout prix, lever le voile sur ce qui est caché. Car le harceleur va tout faire pour dissimuler ses agissements. Pour en parler, il faut écrire. Je recommande d'écrire un courrier avec le terme harcèlement dans votre lettre et de l’envoyer à votre employeur ou à l’inspection du travail. Parce que le fait que l'employeur reçoit un document avec le mot harcèlement, cela va permettre d’ouvrir une enquête sur le sujet.

Les collègues de travail peuvent aussi aider. Un autre conseil, c'est de ne jamais laisser quelqu'un tomber. Quand vous voyez quelque chose qui est problématique, faites-le savoir à votre RH et faites passer l'information pour que des actions soient mises en place au plus vite.

Avec la crise de la Covid-19, vous avez vu de plus en plus de détresse psychologique chez les salariés en télétravail. Qu’est-ce qu’on peut faire aujourd’hui pour enrayer cette dégradation ? 

Déjà, il faut prendre conscience que c’est une situation difficile. On ne peut pas demander toujours plus à des gens qui sont fatigués, ce n’est pas possible. Deuxièmement, il est fondamental de donner au collectif la possibilité d'exister, c'est-à-dire que les gens qui retournent en présentiel pour enchaîner des réunions de 8h à 20h, ce n’est pas non plus possible. Il faut laisser du temps pour que les uns et les autres se retrouvent. Ce sont ces moments entre les personnes pour discuter, pour régler des difficultés, mais aussi pour se re-découvrir, qui sont nécessaires au rétablissement du lien social. Il s'agit d'avoir du temps, de l'espace, des projets en commun, pour réapprendre à coopérer. Le lien social est le premier rempart contre la détresse psychologique. Donc, pour les entreprises qui veulent faire en sorte que ça fonctionne mieux, je ne peux que conseiller de favoriser tout ce qui permettra de restaurer la qualité des rapports sociaux.

*QVT = qualité de vie au travail