Agir contre la précarité menstruelle et le le tabou des règles avec Terri Harris de Bloody Good Period

Au Royaume-Uni, près d'un tiers des jeunes filles, des femmes et des personnes menstruées* rencontrent des difficultés financières pour se procurer régulièrement des protections périodiques, mettant en évidence un problème urgent connu sous le nom de "précarité menstruelle".

Cette statistique alarmante souligne la nécessité de remédier à cette question, qui présente non seulement des implications pour la santé, mais aussi un enjeu de solidarité et d'égalité des chances.

C'est là qu'intervient Bloody Good Period, organisation caritative fondée en 2016 par son ancienne PDG, Gabby Edlin, qui découvre à ce moment-là le manque criant de soutien pour les personnes ayant leurs règles au sein d'associations caritatives, d'aide alimentaire et de centres d'accueil pour demandeurs d'asile. Initialement lancée sur Facebook où les gens pouvaient faire des dons de tampons et protections périodiques, BGP est depuis devenue une organisation caritative pionnière - en 2022, elle a ainsi fourni plus de 119 000 paquets de produits menstruels à ceux qui en avaient besoin.
L'association a également mis en place un programme éducatif proposant des cours sur la santé sexuelle et reproductive, afin de briser les tabous entourant la menstruation.

 Récemment, l'Écosse est devenue le premier pays à fournir gratuitement des produits périodiques, et l'Espagne, de son côté, a adopté la première loi européenne sur les congés menstruels. Des changements qui nous offre une excellente opportunité de discuter avec Terri Harris, en charge du programme éducatif chez Bloody Good Period, afin d'obtenir des informations sur ce vaste sujet, l'impact de la précarité menstruelle sur les individus, les initiatives de l'association, et comment continuer à instaurer des conversations ouvertes sur les règles.

Toutes les personnes menstruées ont un coût additionnel régulier pour prendre soin de leurs règles et de leur santé en acquérant des produits périodiques, qui sont rappelons le indispensables et non pas un article de luxe.
Avec l'inflation et la hausse continue du coût des articles quotidiens, de plus en plus de personnes se trouvent contraintes de prendre des décisions de plus en plus difficiles quant aux essentiels qu'elles peuvent se permettre d'acheter.

Selon un rapport d'Action Aid réalisé en 2023 sur les menstruations :

- 41 % des personnes sondées prolongent la durée d'utilisation des serviettes hygiéniques ou des tampons

- 8 % réutilisent des serviettes jetables

- 37 % utilisent des mouchoirs ou du coton au lieu de produits hygiéniques adaptés 

- 13 % utilisent des chaussettes ou autres vêtements

- Et 9 % utilisent du papier ou des journaux.

L'utilisation de produits détournés de leurs fonctions premières dans un usage périodique, ainsi que la ‘surutilisation’de produits périodiques, peuvent avoir des conséquences graves sur la santé et le bien-être. Cela expose non seulement au risque d'irritation et d'infection, mais peut également conduire au syndrome du choc toxique, une complication médicale potentiellement mortelle. Sans accès à des produits périodiques gratuits et facilement disponibles, il est difficile d'assurer des règles saines pour tous.

Le manque de produits périodiques impacte également la participation des individus à leur vie sociale, professionnelle et personnelle. La honte et le stigmate liés aux règles, ainsi que le silence qui les entoure, impactent la manière dont ceux qui ont leurs règles s'engagent dans les activités quotidiennes, entravant de facto leur capacité à apprendre, travailler, faire de l'exercice et circuler dans les espaces publics.

2) Pourriez-vous partager quelques initiatives clés que Bloody Good Period a menées depuis son lancement et comment vous vous assurez qu'elles deviennent accessibles et inclusives pour toutes les personnes, quel que soit leur contexte ou leur identité?

L'intersectionnalité, l’ouverture d’esprit, l'inclusion et l'égalité, tant au niveau des chances que des genres, sont au cœur de chacune de nos initiatives. Toutes nos communications ont un langage inclusif. Nous reconnaissons que toutes les femmes n’ont pas nécessairement leurs règles - diverses raisons telles que la ménopause, le régime alimentaire, le stress, ou l'identité trans peuvent expliquer cela, mais  fondamentalement, nous croyons en l'inclusion de tous dans la discussion sur les menstruations.

Nous avons également instauré un forum d'experts avec lequel nous échangeons régulièrement (et avec lequel nous organisons des réunions physiques huit fois par an) afin d'améliorer constamment nos services et notre engagement.

3) Pouvez-vous nous parler des plus grands défis auxquels l'association a été confrontée au cours de sa mission?

L'impact de l’augmentation du coût de la vie ainsi que la crise migratoire que nous vivons, a pour conséquence une forte croissance du nombre de personnes qui ont besoin d'accéder gratuitement à des produits périodiques. Nous avons observé une augmentation de 43 % du nombre de demandes de produits que nous recevons chaque mois, passant de 42 909 paquets demandés de janvier à juin 2022 à 61 160 paquets de janvier à juin 2023. Actuellement, nous avons également 90 organisations sur notre liste d'attente, à qui nous ne pouvons malheureusement pas venir en aide par manque de ressources.

Tout cela a été aggravé par le fait que depuis 2022, les prix des produits périodiques ont connu une hausse de prix pouvant aller jusqu'à 57 %**.

4) Dans la société actuelle, les menstruations demeurent un sujet tabou. Quelles initiatives peuvent être prises pour atténuer la stigmatisation qui les entoure et favoriser un dialogue plus ouvert et inclusif ?

Encourager une communication ouverte tout en évitant les euphémismes est essentiel. Par exemple, désigner les tampons et les serviettes comme des "produits périodiques" plutôt que des "protections hygiéniques" est crucial, car cela élimine l'implication selon laquelle les règles sont associées à la saleté.

Notre campagne "Mind Your Bloody Language" explique pourquoi nous préconisons un recentrage des discussions sur les règles en modifiant le langage utilisé, afin de garantir une inclusion et un service positif pour toutes celles et ceux qui ont leurs règles, sans honte.

5) En 2022, l'Écosse est devenue le premier pays à offrir gratuitement des produits périodiques à tous ceux qui en ont besoin, et plus récemment, l'Espagne a adopté la première loi européenne sur le "congé menstruel" payé. Pensez-vous qu'il y a une tendance mondiale croissante à reconnaître et à aborder la santé menstruelle dans l'élaboration des politiques ?

Il était grand temps ! De nombreux programmes ont été lancés pour rendre les produits périodiques plus abordables et accessibles à tous (comme la suppression de la TVA sur les tampons, le programme de don de produits périodiques pour les étudiants ou encore une allocation spécifique pour les réfugiés et les demandeurs d'asile), mais nous avons encore un long chemin à parcourir.

6) Enfin, pourriez-vous partager quelques perspectives sur les objectifs à long terme de l'association et les sujets sur lesquels vous vous concentrez cette année ?

 Notre aspiration ultime est de cesser d'exister. Nous estimons que la distribution de produits périodiques aux personnes qui en ont besoin devrait relever de la responsabilité du gouvernement, plutôt que des associations caritatives. Cependant, étant donné que la demande pour nos services est actuellement à un niveau record, nous allons continuer notre mission tout en plaidant en faveur d'un changement gouvernemental concret.

* Source :  The Guardian, 2022 - lien

 ** Source : The Grocer, 2022 - lien

Liens :

Bloody Good Period www.bloodygoodperiod.com

Mind Your Bloody Language www.bloodygoodperiod.com/bloodylanguage